Dans nos sociétés occidentales et modernisées où l’homme est assisté par les machines, le travail manuel se fait de plus en plus rare. Nos mains pianotent sur les claviers d’ordinateurs et les écrans tactiles, elles sont plus lisses, moins mobilisées. Affranchi des conditions physiques pénibles, préservé, notre corps devrait nous en remercier. Et pourtant, les maux modernes comme le stress et ses innombrables manifestations somatiques nous rappellent à l’ordre lorsque notre corps est sous pression.
Sergey Maximishin met en image le travail manuel en tant que source de revenus et non de thérapie ou d'amusement passager.
On y procède sans relâche et pas par choix.
Loin du rapport sordide de Germinal et des mangeurs de pommes de terre de Van Gogh, ces scènes de travailleurs nous ramènent à la vie, à la place de l’homme qui gagne son pain à la sueur de son front, à l’engagement de son corps tout entier. Le labeur est sacralisé, poétisé dans l’objectif. Il n’inspire pas la compassion, mais simplement le respect. Les mains calleuses, les corps surmenés, transpirants, et qui ne fléchissent pas, les visages secs et cirés forgent en puissance et en gaîté le reportage de Maximishin. Le travail des hommes se fait l’écho de leur énergie, de leur volonté à l’œuvre, substantielle et efficace. La vitalité rayonne et se répand hors-cadre. Car, au-delà des couleurs et de la richesse des compositions, c’est aussi en saisissant l’imprévisible que Maximishin compose : un rire exulté en plein effort physique, un regard, une attitude. Les tâches qu'effectuent hommes, femmes et enfants sous nos yeux, les bras chargés, sont répétitives. Les allers-retours incessants s'enchaînent et nous transportent à Cuba, en Goa, au Népal, en Irak, en Russie, en Ouzbékistan... Dans des pays où le mot "travailler" recouvre des verbes d'action : pousser, traîner, porter, hisser...
L’homme occidental ne peut plus s'imaginer prendre une bêche, se lancer, et répéter les mêmes actions. En délocalisant les usines, en oubliant le labeur de la terre, et inventant toutes sortes d'astuces pour faciliter son existence toujours trop pénible, l’homme moderne n’a plus la force ni physique, ni psychique d’accomplir ces tâches. Bricoleur du dimanche soigné. Volubile mais impuissant, comme un personnage de Tchekhov.
Les « Workers » de Sergey Maximishin nous donnent l’espoir que tout n’est pas perdu, que si on leur demande gentiment, ils pourront nous réapprendre le travail.
Dignement.