Dans la production numérique de ces dernières années, Oleg Dou est le porte-parole spectaculaire de ce qu’André Rouillé désigne comme « l’ère du doute ». La vérité n’est plus tangible, elle est fuyante. Est-ce de la photo, est-ce du collage numérique ? Est-une expression virtualisée du propos de l’artiste ou une optimisation esthétique de son projet ?
‘Les photographes ne me considèrent pas comme un des leurs, mais les artistes contemporains me détestent autant, pour eux je ne suis pas assez conceptuel’.
Peu soucieux de cette ambiguïté, Dou se veut manipulateur. Chacun de ses portraits, criant de réalisme, déroute la raison exposée aux déformations d’organes, aux épidermes tuméfiés. La nature humaine, incarnée dans le visage et plus particulièrement dans le regard, y subit des agressions que l’émotion ne supporte pas. Manifestement les images ont bénéficié de prouesses techniques, – c’est notre bon sens qui l’affirme -, mais cela ne rassure pas ; tout est là pour suggérer la possible réalité de ces tortures.
Dans sa dernière série, justement intitulée ‘Another Face’, (qui comporte 8 portraits), Dou pense au masque qu’on porte et qui devient, sans qu'on s'en rend pas compte, notre autre, ou notre vrai ? - « moi ». Et il va plus loin ; pour la première fois, il inscrit sans fard numérique les violences qu’il projette sur les visages. Du moins le croit-on. On pense enfin discerner de la vérité photographique ce que l’artiste inscrit comme un message supplémentaire. Sauf que les visages eux-mêmes ont été torturés – peaux glabres, peaux mortes -, et du coup deviennent une normalité parce que les ajouts apparents – trait de crayon rouge, motif de fond d’écran - piègent notre entendement : ce serait là le procédé, la face des modèles étant la réalité crue et finalement insupportable. La métonymie du visage pour désigner l’être n’en est que plus efficace, elle touche à notre Moi.
On ne peut s’empêcher d’évoquer une caractéristique de la création russe (Dostoievski, Eisenstein, ou même Tchekhov), si prompte à énoncer ou dénoncer les vérités les plus subtiles, avec cette brutalité que les occidentaux ont parfois tant de mal à accepter : une démonstration implacable et rectiligne de la fatalité inscrite dans notre condition humaine, imposée par un esthétisme rugueux, où le style est –apparemment - relégué au second plan.
Pour en revenir à l’exploration conceptuelle à laquelle RTR Gallery nous a convié, ‘Scenery’ (mise en scène) est le point de la carte mentale sur lequel le travail de Dou pourrait être positionné. Il se situe au croisement des notions de vérité et de lumière, en contrepoint de la transparence. Ce n’est pas une ironie ; en dépit de photos focalisées sur le visage de ses modèles, c’est bien à une théâtralisation que l’on assiste, celle de nos anxiétés somatisées et incrustées dans la chair des visages.