Il n’y a pas de sexe en URSS », - cette phrase, prononcée lors d’un « télé-pont » (émission télévisée, diffusée en direct, établissant des liens entre la Russie et les Etats-Unis) en 1986, est devenue phraséologique. Or, d’après son auteur, Liudmila Ivanova, son sens initial aurait été déformé. Sortie du contexte, la phrase réelle signifiait en réalité: « il n’y a pas de sexe en URSS, il y a de l’amour ».
L’exposition « Corps révélés » est une exploration non exhaustive de l’existence de corps en tant que symbole érotique dans l’espace-temps de l’époque soviétique, de la Perestroïka à aujourd’hui, au travers de ses représentations dans la photographie. Avec les œuvres d’Antanas Sutkus, Igor Savchenko, Igor Mukhin, Evgeny Mokhorev, Margo Ovcharenko ou encore Dasha Yastrebova, par touches allusives ou par images plus directes, à travers les poses et les postures, les modèles vivants ou en marbre, la galerie RTR retrace la question du corps et de la tension sexuelle révélée par lui.
A l’époque soviétique, sous l’emprise du Parti communiste, avec ses dogmes et ses obligations, le corps est devenu un outil de travail (allant jusqu’à l’exploitation abusive). Il est un symbole de propagande, lié à des modèles de vie imposés, incluant le travail acharné et des conduites bien précises. Cependant, le corps et la nature sont plus forts que les ordres : on retrouve dans la série « Monuments » d’Igor Moukhin (1985-2001) la chair métallique ou plâtrée des athlètes et autres stakhanovistes… un sex-appeal bien réel, digne des statues grecques et cela n’a rien d’étonnant : la source d’inspiration étant la puissante époque romaine.
Les petits tirages d’Igor Savchenko, puisent dans la photographie vernaculaire et nous dévoilent de nombreuses choses. Dans la vie privée, le citoyen soviétique gardait souvent les postures et les uniformes officiels, même lorsque son corps était révélé, il s’inscrivait dans la « ligne du Parti ». Or dans certaines images, issues de la série « Alphabet des gestes », (1990-1993) d’Igor Savchenko, on découvre ce que la photographie officielle cachait à l’époque : le corps désiré, embelli, tendre voire libre parfois.
Il est vrai qu’Igor Savchenko et Igor Moukhin travaillaient après la chute de l’URSS, et se permettaient de ce fait des interprétations du sujet. La photographie soviétique se gardait bien de montrer des corps en dehors de l’idéologie. Le seul endroit sur la carte de l’URSS où les photographes avaient pris la liberté de s’exprimer, c’étaient dans les Pays Baltes, et notamment la Lituanie, la « République photographique » comme on l’appelait à l’époque. Dans les portraits d’Antanas Sutkus, les corps vêtus à la mode, révèlent autre chose: de la fierté féminine, de la tentation, de l’affection et de la complicité avec le photographe.
Avec l’arrivée de la Perestroïka, toutes les barrières sont tombées (les barrières morales incluses). Le corps devient la monnaie, la femme devient un objet, un produit de consommation. Les photographies d’Igor Moukhin de cette période témoignent parfaitement de ce basculement de la prohibition vers l’anarchie, quand la femme, parfois, maladroitement, s’expose et se vante. C’est cru, cash, sans équivoque.
Dans la série « Kronchtadt » (2001-2005), Evgeny Mokhorev crée un alphabet de corps fondus dans le paysage de cette forteresse mythique. Les corps des jeunes gens, affrontant ces structures, rappelant celles d’un navire, font résonner l’espace d’une musique rythmée au son de la révolution et du constructivisme.
La toute nouvelle génération, comme partout dans le monde, est saisie des mêmes doutes et des mêmes peurs. Elle cherche un refuge, comme le montrent les clichés de Margo Ovcharenko, dans la mélancolie, parfois rêveuse, parfois aigue et torturée. On retrouve encore des manifestations plus libérées, et, bizarrement, plus classiques, chez Dasha Yastrebova, qui dans son travail « Without Shame » a fait poser les jeunes gens du gotha moscovite.
Dans le doute ou la confiance en soi, dans la séduction ou la timidité, la force ou la faiblesse - tout se joue autour et sur le corps, que la photographie nous révèle avec justesse et sans fard. A prendre ou à laisser.