Alors que débute en 2010 l’année France – Russie, EXPRMNTL galerie est heureuse de vous présenter avec la complicité de Lisa Fetissova, une génération de jeunes artistes russes qui nous proposent leur version des Contes Russes.
Ancré, d’un côté, dans l’inconscient collectif, et de l’autre, dans l’enfance de chacun, le conte fait resurgir les idées les plus enfouies, les plus précieuses. Il incarne l’âme d’un pays et on le chantait même autrefois comme une chanson folklorique.
Pour un Russe, un conte traditionnel est un récit qui, entendu dès son enfance, l’accompagne toute sa vie : à travers les personnages en bois sculptés sur le terrain de jeux, les premiers livres, les dessins animés, les blagues, les expressions, les spectacles et les ballets...
Les artistes russes ne peuvent pas passer à côté d’un conte.
Les échanges et les influences artistiques entre la France et la Russie remontent à l’époque de la révolution bolchévique et la naissance de l’avant-garde russe. A la croisée du cubisme et du futurisme, elle est à son apogée en 1915 avec le carré noir sur fond blanc de Kasimir Malevitch, qui marquera l’histoire de l’art, autant que Marcel Duchamp dont les empreintes indélébiles animent toujours l’art contemporain à travers le monde.
Marcin Sobolev puise son inspiration dans les contes russes, dans les broderies et illustrations traditionnelles. Les envoûtants récits de sa chère babushka ont poussé ce tagueur à explorer en profondeur le thème, décliné en grands panneaux sur les murs en sculpture de bois peint en forme de matrioshka, mais aussi en peintures et dessins. Les autoportraits de Katerina Belkina quant à eux se penchent sur les contes littéraires, ceux de Pouchkine ou de Perrault, comme la photographie « Poisson d’or », interprétation moderne de « Conte du pêcheur et du poisson » de Pouchkine. Tout artiste est un narrateur. Au travers de sa production, il tente de nous raconter une histoire, une fiction, nous fait partager le fruit de son imagination. Tous les artistes de cette exposition sont des conteurs originaux. Ils nous présentent leurs jardins secrets, leurs anges et démons, leurs fées et leurs tours de magie.
Oleg Dou, 26 ans, semble débarquer d'un autre monde : alors qu'il photographie des indiens de Russie, ses créations numériques mettent en scène des personnages lunaires. - « Comment vous sentez-vous en tant que photographe au sein de la société russe ?
Je ne peux pas m'appeler photographe dans sa forme pure. On a un terme "artiste-photographe", qui utilise la photographie comme matériel de départ pour la création d'une œuvre. C'est mon cas. Il y a beaucoup de gens très talentueux en Russie, mais la demande pour l'art contemporain ne s'est créée que ces dernières années et n'a pas pris une grande ampleur. Pour l'instant, c'est assez difficile d'être accepté par les galeries et le public, mais je sens que la situation est en train de changer. Même si cela ne concerne que Moscou, où le marché d'art se développe d'une manière plus dynamique, et où les gens sont plus tolérants vis-à-vis des nouveautés et sont prêts à vous accepter. "
Dmitry Sokolenko paraît suivre la tradition de Vassili Kandinski travaille avec des formes simples, le point et la ligne sur un plan, en utilisant une quantité limitée de moyens visuels mais ses principes s’en distinguent. L’œuvre de Dmitry Sokolenko est comme la photographie conceptuelle selon le cadre dans lequel il a élaboré un procédé artistique original.
Le travail d'Anastasia Bolchakova se perçoit comme une succession d'historiettes associant des objets issus de son propre univers domestique à des moments qu’elle a passés avec eux au quotidien. Ces micros récits sont apparemment sans lien entre eux car, placées sous le signe d’une attention continue mais flottante, ils constituent le chemin que se fraye l’inspiration au milieu d’un quotidien où dominent le trivial et le futile. Pourtant ce qu’il s’agit bien d’interroger, comme le note Georges Perec « c’est la brique, le béton, le verre, nos manières de table, nos ustensiles, nos outils, nos emplois du temps, nos rythmes. » Ces objets du quotidien, nous les appréhendons avec l’artiste sous la forme d’un aller-voir-ce-qui-se-cache-derrière notre vision du réel ; et c’est donc avec les yeux neufs et toute la malice de l’artiste que d’une certaine manière nous allons incarner son personnage dans un film un peu surréaliste qu’elle projette sur le grand écran d'un lieu d'exposition. " Surréaliste " car les collages physiques et conceptuels entre des objets dont les fonctions sont inadéquates (type manucure de faux ongles sur gants Mapa) provoquent la contamination du champ de l’expérience sensible par l'imaginaire.
Dunya Zakharova a réalisé une fresque en broderie évoquant les cavernes de Lascaux. Elle nous explique avec des points de couture noirs et rouges la fragilité de l’être moderne, en nous incitant à prendre conscience de l’autre. Comme dans les contes classiques, Dunya parvient à instiller une morale, mais de manière subtile, moins directe.
Et Dasha Yastrebova, jeune artiste de 18 ans, met en scène sa sœur cadette comme personnage d’un conte, et comme une poupée, créant un habile double jeu photographique. Ses photographies sont sincères et énergiques. En noir et blanc ou en couleur, pâles ou contrastées, douces ou choquantes, elles reflètent la personnalité de l'auteur à 100% - Le caractère d’une artiste de talent, qui aura toujours quelque chose à nous raconter...
Pour RECYCLE, la poubelle est le dernier container pour n’importe quel matériel ou produit, auquel l’être humain a aspiré la vie. Toute pièce jamais fabriquée finit sa vie dans une poubelle, passant le test d’usinabilité. La poubelle est un symbole de ce test. Reconsidération, reconstruction, recréation, se sont des fonctions de l’art contemporain.
On dit que l’art recycle ce que l’entoure, en lui donnant une nouvelle signification, nouvelle fonction et nouvelle vie.
Ilya Starichkov, lui, est muni de cette capacité purement russe à faire des merveilles à partir de rien, Il assemble en effet des éléments banaux qui, comme par magie, réorganisent l'espace et transportent le spectateur vers d'autres réalités. Les tissus aux imprimés floraux entrent en dialogue avec des objets du quotidien ou des corps féminins. La chaire abîmée, noircie, mutilée devient l'objet d'admiration, du délice esthétique. Starichkov, avec une finesse peu connue chez les russes, juxtapose, assemble, bricole et produit des images difficiles à définir. Elles nous échappent et nous surprennent. « Mes photographies sont nées sous la pression des idées, qui percent ma subconscience et exigent d’être réalisées sous la forme de constructions visuelles. Elles sont un peu étrangères à l’espace et au temps actuel. Elles sont incapables d’exister dans le réel. »
Natalia Taravkova nous dit : "Le battement d'ailes de papillon au Brésil provoque-t-il une tornade au Texas? " Lorenz, 1972 - Je cherchais à faire du dessin sans raconter d'histoires, juste avoir une trace, une empreinte de mon expérience de dessin, un électro-encéphalogramme de mes états d'âme, une image qui serait universellement compréhensible, en dehors des différences culturelles, politiques... un dessin abstrait ».
Le genre ancien du conte est supposé être une création de groupe. De génération en génération, un conte est raconté, modifié lors d’une narration, en prenant, petit à petit, sa forme finale. Cette exposition tente de montrer, à l’aide d’un chœur d’artistes différents dans leurs approches, un mode de narration contemporaine russe. Des regards s’y croisent.
