« Mon père était imprimeur et dès mon enfance j’ai baigné dans le monde de l’impression et du livre. Ma passion pour la photographie date de mes 13 ans quand, dans le grenier de ma grand-mère j’ai découvert dans des cartons d’anciennes plaques photographiques : j’ai été fasciné. J’ai aussitôt acheté un appareil et je me suis mis à faire des photos dans la campagne aux alentours de Nevers. L’été de mes 17 ans j’ai travaillé aux Chantiers de l’Atlantique et c’est ainsi que j’ai pu, grâce à ma paye, m’offrir un appareil.
Plus tard, lors des mes études à l’école Estienne, une école qui a vu sur ses bancs de nombreux peintres et photographes – Doisneau, Boubat, Fontanarossa – j’ai perfectionné ma technique.
J’ai commencé à faire des photos de manière plus régulière bien que cela soit resté pour longtemps une activité de vacances. Des photos de concerts, des portraits de musiciens et de chanteurs et aussi des paysages de mon lieu de prédilection : La Loire. Mais c’est seulement quand, à bout de forces, j’ai quitté mon poste de directeur technique chez Altedia, que j’ai décidé de faire mon vrai métier de ce qui fut jusqu’alors ma plus grande passion : la photographie.
En général j’aime le noir-et-blanc. Mais avec les fleurs c’est une autre aventure.
J’ai toujours aimé les fleurs, ma mère franco-italienne mélangeait dans son jardin les fleurs et les légumes pour obtenir un effet esthétique. J’ai donc cultivé très tôt une familiarité avec le monde floral. Pour la photo tout a commencé une nuit d’insomnie, une nuit porteuse d’idées où sous une impulsion soudaine j’ai pris un bouquet et, après l’avoir agencé et éclairé d’un flash, j’ai réalisé ma première photo de ce sujet en noir-et-blanc. Pendant neuf mois je me suis amusé à capter toutes les nuances du gris sans me rassasier de ces bouquets. Souvent je les tirais sur du papier chiffon ce qui les faisait ressembler à des dessins.
L’idée de les coloriser me vint plus tard : le moment le plus propice est la nuit quand tout est calme et que je peux tranquillement entrer dans mon propre univers. Depuis c’est devenu presque un rituel : ça m’arrive autours de 21h 30- minuit. Après avoir acheté mes fleurs chez le fleuriste je compose mon bouquet et après l’avoir observé de tous les côtés je choisis l’angle qui me paraît le plus favorable. Ensuite je le photographie en noir et blanc ou en couleur, peu importe, puis je le colorise. Tout se fait très vite, instinctivement, suivant l’inspiration du moment : je passe du réalisme à la magnificence.
Les hollandais avec qui j’ai quelques affinités je les ai regardés bien après avoir défini ma technique. Je procède plutôt comme ceux qui, autrefois, colorisaient les photos ou les films avant l’invention de la couleur. C’est un retour aux sources. Ma composition évitant une symétrie triste et fabriqué accède à une asymétrie vivante qui met en exergue une beauté nouvelle, luxuriante et baroque.
Mon but : accéder à une autre beauté que celle du réel. La réalité des fleurs est mélancolique puisqu’elles ont une vie brève qui nous rappelle qu’on est de passage. Ma photo, au contraire, les captant et les fixant au moment le plus glorieux de leur existence c’est une garantie d’immortalité ».
Eurydice Trichon Milsani (Dr. en histoire de l’art et écrivain)