Motherland. Patrie. Rodina

« Motherland » décliné en trois langues : anglais, français et russe … 

Motherland. Patrie. Rodina. 

Au niveau étymologique, on s’aperçoit que l’on ne partage pas la même notion .  Le premier provient du mot « mère », le second – du « père », et le troisième de « naître », du genre, de la lignée, de la famille.

La langue donne immédiatement une clé de perception de l’espace, du pays et de la place qu’un individu y occupe. En Russie, il est la fraction d’un groupe, le morceau d’une étendue.

« Rodina… C'est pour moi un mot-propagande… Une manipulation par les sentiments », dit Danila Tkachenko. « Ce mot me fait aussi penser à une condamnation. Car Rodina c'est quelque chose de lourd, qui te façonne, te dirige et te condamne si tu n’as pas suivi la ligne du parti. »

Danila opérait dans un pays étrange : riche d’histoire mais un pays qui a perdu la mémoire. Danila Tkachenko travaille depuis plus de 15 ans sur la mémoire. La mémoire d’un pays et d’un peuple, qui y habite : la Russie.

C’est une chose curieuse, la mémoire. Parfois, elle nous aide, nous guide… Elle lie les éléments, propose des solutions et des réponses. Parfois, elle fléchit, nous handicape, nous frêne, nous place sur une fausse route et peut nous mettre en danger.

Qu’en est-il au niveau d’une famille ? D’un village ? d’une ethnie ? D’un pays ? Incapacité de connecter les points, de tirer des leçons de ses erreurs, d’avancer ?

Paradoxalement, « oublier » peut avoir une fonction thérapeutique. Mais oublier sans soigner les suites d’un traumatisme, sans tourner la page en paix, c'est dangereux, même criminel.

Chaque série est un projet de longue haleine qui demande des recherches, de la préparation, des ressources et du temps.  Danila crée des tableaux épiques, grandioses, qui couvrent des étendus géographiques immenses et toujours dans des endroits difficiles d’accès.

Chaque projet est une mission impossible où il risque sa vie…. Des lieux gardés par les militaires… Des lieux qu’il pénètre au risque de sanctions pénales, des zones interdites avec un discours interdit.

Il a volontairement incendié des maisons abandonnées (série Motherland), s’est introduit dans des territoires contaminés (série Acid), il a fait des installations dans des églises, des lieux intouchables, même en ruines (série « Monuments), il a travaillé avec les ossements humains (série Heroes), et il est aujourd’hui dans la transgression artistique ultime : recherché par le FSB pour une œuvre, une création/revendication avortée sur la Place Rouge.

Depuis des années, dans ses séries photographiques produites en Russie, Danila Tkachenko a tenté de montrer, décrire et faire comprendre ce pays immense. Il explique qu’en Occident, tout ce qui nous entoure est perçu comme une image, comme un objet ; que les occidentaux font attention aux détails, aux nuances, à l’autre.

En Russie, au contraire, on voit tout à travers un texte, de la littérature : habitant d'un territoire immense, le russe regarde loin, mais ne voit pas les détails et l’individu n’a pas d’importance.

Selon Danila la photographie « structure l’espace », ses images sont ces détails qu’un russe lambda ne va pas voir, et que lui va assembler pour construire une représentation globale la plus juste... et souvent moins plaisante.

« Je fais une recherche anthropologique à l’aide des visuels. Je dirais que je fais de la sculpture sociale »

En regardant ses œuvres, nous réalisons à quel point Danila a réussi à intégrer tant de de choses, des notions et des fictions présentes dans chacune de ses images, au point que les mots en deviennent inutiles.

Chaque image, chaque série est dense de sens, de couches historiques, de questions ouvertes.

Comme chaque russe, Danila Tkachenko contient en lui la charge des récits familiaux (racontés ou cachés), le poids des événements lointains et actuels, les liens invisibles mais forts des générations sous pression étatique.

Et aujourd’hui, selon Danila, comme en 1917, la Russie veut que le monde entier devienne Rodina!  Que cette entropie se propage sur toute la planète.

Elle est dangereuse, cette Rodina...

Vous sentez son souffle glacial et impitoyable ?